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Paroles de motarde

           Je suis motarde depuis 1973. Qu'est-ce qui a fait que j'ai voulu un jour piloter un engin sans
    démarreur électrique, sur le kick duquel il fallait s'échiner pour pouvoir entendre le doux bruit de
    mon quatre cylindres?
           Disque de frein : connaissais pas... Moi, j'avais un tambour à l'avant et lorsque je parvenais
    aux 150 km/heure sur l'autoroute, avec ma Honda ou avec la Laverda de mon copain, je ne devais
    surtout pas compter sur ce tambour pour un freinage d'urgence ! Quant à la tenue de route, mon
    estomac  se  rappelle  encore  les  nausées  qui  me  révulsaient  tant  les  courbes  que  j'essayais
    d'engager portaient bien leur nom !
           Mes cheveux longs dépassant de mon Barbour bien huilé, recouvrant les épaisses couches
    de papier journal, l'hiver, pour avoir moins froid, m'ont souvent fait arrêter par la police nationale
    qui voulait vérifier que... j'étais bien une fille ! Eh, oui, hormis mes cheveux, justement, rien ne me
    différenciait  de  mes  copains,  motards  avec  lesquels  je  roulais  sur  les  routes  de  campagne,
    penchée  le  plus  possible  pour  espérer,  comme  tous,  râper  mes  chaussures,  voire  mes
    genoux... Quand j'y parvenais, j'étais quelquefois au tapis et le frottement y était, je peux vous le
    jurer ! Mais quel bonheur d'avoir pu aller au-delà des limites de ma bécane. Personne ne me
    disait "bravo" : ben non ! J'étais comme les autres potes... Je roulais en moto et, à 18/20 ans,
    j'étais un peu comme eux : givrée ! Pousser ma bécane en panne (elles l'étaient beaucoup plus
    que de nos jours, ces sacrées machines), je l'ai fait plus d'une fois pour arriver enfin chez moi, en
    sueur, écarlate, mais heureuse de ne pas avoir abandonné mon "bijou" sur la route. J'aurais tout
    pu laisser, mais pas elle... elle pour laquelle je me saignais, ne sortais pas, travaillais le soir après
    les cours pour la "nourrir" en essence et en huile afin de pouvoir la chevaucher le week-end.
             On  m'a  proposé,  un  jour,  avec  cinq  autres  filles  motardes  (qu'on  avait  dû  rechercher
    activement,  car  cela  était  "denrée  rare")  de  faire  de  la  pub  à  moto,  avec  un  grand  panneau
    publicitaire  harnaché  sur  le  porte-bagages.  Pour  cela,  il  nous  a  fallu  nous  entraîner  avec  les
    gendarmes-motards de Paris, au Bois de Boulogne. Que de souvenirs ! Quels frissons lorsque nous
    étions debout, les deux pieds sur notre selle de moto, les bras en croix (après avoir réglé notre vis
    de ralenti pour pouvoir tous rouler à la même vitesse). Que de gamelles aussi avant d'y arriver
    !  Nous  avons  ainsi  paradé  sur  les  Champs-Élysées,  à  l'arrivée  de  je  ne  sais  plus  quel  Tour  de
    France...  Quel  bonheur  !  Et,  ce  qui  n'était  pas  négligeable,  c'était  que  nous  étions  très  bien
    rémunérées pour ces démonstrations (ça m'a aidée à entretenir ma machine pendant une bonne
    année).
           Voilà ce qu'a été ma vie de motarde avant que je ne la mette entre parenthèses pour mes
    enfants, tout en montant sur la moto de mon mari, de façon malheureusement très anecdotique…
    Quelle joie de remonter sur MA moto, nouvelle version, il y a 20 ans! Mais quelle surprise aussi :
    les  cheveux  longs  étaient  beaucoup  plus  présents  :  des  «  moi  »  en  plus  jeunes  (enfin  je  me
    retrouvais avec des filles qui pensaient comme moi).

           La moto, c'est ce que j'ai vécu de
    plus "particulier" dans ma vie. Je n'ai été
    vivante  qu'avec  mes  machines  ;  je
    dormais,  vivais,  mangeais  MOTO...  Rien
    d'autre ne me fera jamais dresser le poil
    comme  il  l'a  été  lorsque  j'étais
    jeune  (je  ne  parle  pas  de  ma  vie  de
    famille  et  de  mes  enfants  ;  ça  c'est  les
    autres poils...).

    Cathy Guillard
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